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L’expérience dissonante que je venais de vivre avait fait naître en moi un curieux sentiment. Un mal-être sur lequel il m’était difficile de poser un nom. Plus déstabilisé que coupable. Je ne pouvais en effet me sentir coupable d’avoir été aveugle. Certes je me sentais responsable de la souffrance de Sandra, et ne niais pas le fait que j’en étais l’artisan, mais à aucun moment je n’avais eu l’intention de la blesser volontairement. Mon ego, trop fort, venait de se fissurer et s’effondrait sur lui-même, en me renvoyant l’image de ce que j’étais, un être orgueilleux et vaniteux. Je remercie encore en secret, la maman de Sandra, qui m’a rendu ce jour là, le plus merveilleux des services. L’amour que se portaient ces deux êtres, avait fait éclater tout au fond de moi, mon propre égoïsme. C’est à ce moment précis, je crois, que j’ai réellement pris conscience de la force de l’amour. Ce n’était jusque là qu’un mot, mais ô combien vide de sens pour moi ! Pour la première fois, je réalisais à quel point cette force pouvait être puissante…
Convoqué !!!
Quelque chose en moi était en train de se fissurer. Mon égo, terrassé, semblait laisser libre une place, un vide effrayant. Les minutes qui avaient suivies le départ de Sandra et de sa maman furent les plus longues de ma vie. Ce coup de tonnerre résonnait encore dans mon esprit, lorsque retentit derrière moi, la grosse voix de mon Directeur qui me sortit subitement de ma torpeur…
Monsieur David ! Il faut que je vous voie… c’est au sujet de la petite Sandra !…
Le Directeur de l’école, dont j’avais assuré la décharge, en prenant la responsabilité de ses élèves de CE2 tout au long de cette année, se tenait à quelques mètres de moi, la main sur la poignée de la porte de son bureau. C’était un homme impressionnant, immense, bâti comme un boxer. Je m’étais toujours senti assez mal à l’aise à proximité de ce « gros balèze » un peu bourru qui répondait au nom amusant de « champ des jeunes filles » lorsqu’on le traduisait de l’alsacien au français…
Aussitôt la tempête redoubla dans mon esprit. Ce ne pouvait être qu’un « coup de la mère de Sandra » ! Alors même que j’étais presque touché par la grâce de ce qui s’avérait être une douloureuse, mais merveilleuse expérience, je me retrouvais tout à coup replongé dans la noirceur de ce monde bête et méchant. Evidemment ! Elle ne pouvait qu’avoir été se plaindre de mon incompétence à mon directeur ! La vache !…
Une colère sourde, mêlée d’une inquiétude qui me paralysait, était en train de m’envahir. C’est donc persuadé de perdre mon job et de me prendre un bon savon, que j’entrai dans le bureau du Directeur.
Monsieur F. était assis confortablement, le répondeur de son filaire coincé entre le haut de l’épaule et son oreille, en grande conversation. Distraitement, il feuilletait… mon dossier. Cette fois j’en étais certain, je pouvais faire mes cartons et dire adieu à ma grande carrière d’instituteur et de pédagogue ! Il ne me restait plus qu’à retourner à Grenoble. Toutes sortes de pensées, pas vraiment positives, se bousculaient dans ma tête. Après quelques minutes qui me parurent interminables, Monsieur F. posa le combiné avec un geste étudié et dans une lenteur exécrable, tout en me regardant, l’air satisfait, me dit :
Monsieur David, je tenais à vous féliciter pour ce que vous avez réalisé avec la petite Sandra… Bravo, surtout pour un débutant ! Je suis vraiment très content de vous. Je tenais à vous le dire avant votre départ en congés ! Encore bravo et merci pour votre excellent travail. Bonnes vacances !
Second coup de tonnerre ! Je m’entends encore balbutier quelques remerciements avant de m’excuser, je ne sais trop vraiment de quoi, complètement abasourdi. La honte m’envahit en refermant la porte du bureau. Comment avais-je pu douter ainsi de la sincérité de la mère de Sandra !… Ma mesquinerie m’éclata une fois encore en pleine figure. Il était décidément vraiment temps pour moi de choisir mon camp !
C’est ce jour-là je crois, que délicieusement anéanti, je me suis fais la promesse d’être désormais plus vigilant… La vie venait de m’offrir un chemin et d’éclairer ma route. C’était donc à moi, dorénavant, d’écrire au quotidien, ma propre légende.
Telle est ma voie…
A deux reprises, je m’étais trouvé plongé dans un état de dissonance, un état particulièrement inconfortable. La première attitude de la mère de Sandra avait eu pour conséquence d’agir sur moi de telle manière, que j’avais totalement changé de regard sur sa petite fille, qui s’était du même coup, libérée de ses inhibitions scolaires.
Mais alors que j’imaginais le pire, avant mon entretien avec mon Directeur, les compliments de celui-ci, dont j’étais le seul à savoir qu’ils n’étaient pas justifiés, m’avaient résolument décidé à ne plus me mentir. Par ailleurs, j’avais pris conscience de l’ampleur du travail qu’il me restait à faire sur moi-même, en m’apercevant avec quelle facilité et quelle rapidité, je n’avais pas hésité, une seule seconde, à rendre responsable la mère de Sandra de toutes les mauvaises choses que j’imaginais et qui allaient m’arriver…
Au fond, ces deux expériences dissonantes m’avaient amenées à prendre des décisions positives et de nature à me faire grandir, par moi-même. Deux moments de stress et de grande solitude, au cours desquels je m’étais senti profondément déstabilisé et qui se soldaient par la décision instantanée d’abandonner des comportements qui m’apparaissaient soudainement toxiques.
J’imaginais un instant le temps qu’il m’aurait fallu pour avancer d’une manière si spectaculaire, si pour cela j’avais du me plier à une formation, une thérapie, un apprentissage ou encore me soumettre à un quelconque ordre, même justifié, de la faire…
C’est ce jour là que j’ai perçu l’importance et la profondeur de ma mission de pédagogue.
Encore Merci Sandra !!!