Le syndrome « Jekyll-Hyde »
Le Rituel « Jekyll-Hyde » se traduit chez un enfant, par un comportement d’adaptation inconscient, jugé inadapté par son parent, et qui vise à la restauration de ses besoins fondamentaux, dès lorsqu’il se fragilise par un sentiment, justifié ou non, de négation de son existence, de sa sécurité ou de son besoin de se sentir aimé . Il est le signe incontestable d’une régression. L’enfant apparaît alors, aux yeux de son parent, transfiguré : Jekyll devient tout à coup Hyde.
« Jekyll »
Jekyll, est un enfant que nous connaissons tous. C’est en quelque sorte « notre enfant », celui qui nous parle, que nous comprenons et qui nous paraît abordable en toutes circonstances. Celui qu’on aime voir grandir ou encore apprendre. Il répond couramment à une projection sublimée que l’on a de l’enfance en général ou de notre propre enfance en particulier.
Les comportements de Jekyll, sont socialement corrects, donc très largement acceptés par la plupart des parents ou futurs parents. L’idée que l’on se fait de Jekyll colle donc à une image, celle d’un enfant agréable, conforme, paisible, obéissant, voire soumis dans certains cas et sur lequel nous portons un regard bienveillant. On le rêve facile à éduquer, bon élève à l’école, entouré de nombreux amis, on le souhaite aimé de tous.
Le parent projette très souvent sur son enfant sa propre enfance, idéalisée. Ainsi, il se dresse intérieurement un portrait imaginaire, utopique, débarrassé de ses propres peurs. Il fantasme alors l’enfant plus qu’il ne le voit réellement, s’exposant ainsi à des déconvenues prévisibles… Car Jekyll est imparfait et le parent le sait…
Jekyll, c’est donc celui que nous croisons tous les jours, que nous observons un peu partout. C’est un enfant qui nous rassure par l’expression de ses potentialités, de ses succès, de ses apprentissages de qualité. C’est encore celui qui nous comprend ou fait mine de nous comprendre, qui respecte le cadre et la loi ainsi que l’autorité que nous incarnons, en tant qu’éducateur. Plus généralement, Jekyll est celui dont nous comprenons les comportements. Il ne nous apparaît pas comme une énigme. Sa lecture nous est relativement aisée, car il est un produit de notre mental. Ainsi Jekyll obéit à une représentation rationnelle, logique, chère à son parent ainsi qu’à tous les adultes.
Le monde du mental, de la logique et du rationnel a en effet cela d’intéressant pour le parent, qu’il lui permet de comprendre parfois même l’incompréhensible. Le recours privilégié à l’analyse raisonnée, voir raisonnable, permet à l’adulte d’appréhender bon nombre de situations. Il donne alors un sens logique à ce qui n’en n’a pas parfois, ou encore à ce qu’il ne comprend pas, afin d’apaiser ses peurs face à l’inconnu, la nouveauté ou résorber ses dissonances. Les comportements sociaux acceptables de Jekyll poussent donc son parent à porter sur lui un regard satisfait et bienveillant, car Jekyll le rassure en présentant des attitudes qui entre dans sa grille de représentations et d’analyse. La difficulté surgit lorsque Jekyll sort de cette grille et montre des comportements déroutants, incompréhensibles à son parent qui se trouve alors démuni. La dissonance qui résulte de cette incompréhension, et qui résiste à toute tentative de rationalisation de la situation, place alors le parent dans une posture délicate, et souvent douloureuse. Jekyll n’est plus reconnaissable et se présente sous les traits d’un autre enfant, agressif, violent, provocateur ou vengeur. Il résiste à toute tentative de raisonnement tant sa crise est aigue. A cet instant, Jekyll n’est plus. Il a laissé la place à Hyde.
« Hyde »
Hyde vit dans l’inconscient de Jekyll. Il n’existe pas réellement. Il est donc inutile de lutter contre lui puisqu’il s’agit d’une illusion. En revanche on perçoit sa présence par l’observation du mécanisme du comportement qu’il active.
Hyde se met en scène aux yeux de son parent par le biais d’un rituel destructeur et pervers dommageable à l’enfant. Si Hyde n’est pas dangereux, son comportement l’est en revanche.
Hyde apparaît alors comme une métaphore de Jekyll, en ce sens qu’il l’évoque implicitement tout en restant inaccessible. Tapis dans un coin secret, prêt à bondir à la moindre occasion, Hyde se présente comme le penchant noir de Jekyll. Telle une sentinelle sur le qui-vive, il est toujours en éveil, à vif.
Hyde désigne la partie innée, inaltérable, de Jekyll. Il est cette part incompressible, privilège suprême de l’enfance de chacun d’entre nous, et constitue un fondement souverain qui caractérise une donnée fondamentale du processus de l’enfance. Hyde ne compose pas ni ne fait de concession, il ne négocie jamais. Hyde ne pense pas non plus, il ne réfléchit pas, il ressent. Il est soumis à un régime strictement émotionnel, inconscient. Hyde n’est pas animé par les fonctions du mental. S’il éprouve un besoin constant de rassurer Jekyll, son fonctionnement, purement névrotique et dans lequel le Rituel est roi, l’amène à se présenter sous un caractère redoutable, rigide, indestructible et destructeur, ultime.
Hyde peut donc à tout moment prendre la place de Jekyll et se montrer méchant, provocateur, mesquin, tyrannique, violent, pervers, hystérique, au nom de la satisfaction des besoins de son ami, car en réalité, Hyde ne connait que les besoins fondamentaux de Jekyll. Il y veille avec attention. Il est même prêt à le sacrifier au regard de cette nécessité vitale et impérieuse. Ce qui peut faire de lui un redoutable ami.
Pur produit de l’inconscient de Jekyll, Hyde, pourtant, n’existe pas. C’est une chimère. Hyde est une prérogative de l’inconscient de Jekyll, mû par son instinct, il peut aller jusqu’à pousser Jekyll à sa perte au nom des besoins vitaux de celui-ci. Ainsi apparaît Hyde.
Et pourtant, Hyde n’est pas dangereux, puisqu’il n’existe pas. S’il se montre intraitable et si désagréable, c’est pour mieux servir Jekyll, même s’il doit le détruire pour cela. Chaque fois que Jekyll ne comprend pas ce qu’on attend de lui, ou qu’il doute, Hyde est là, prêt à prendre le relais. Lorsque la raison faillit et que Jekyll se fragilise parce qu’il ne comprend plus, lorsque la raison ne suffit plus et qu’il s’effondre, Hyde, qui veille à l’équilibre de ses besoins avec vigilance, entre en scène. Il prend alors le relais, prêt à pallier au mental de Jekyll qui défaille.
Mais quelle est donc la nature de ces besoins vers lesquels l’attention de Hyde est toute entière tournée ? Quelles sont donc ces exigences si impérieuses, pour qu’elles déclenchent de telles crises chez Jekyll ? Que se passe-t-il enfin pour que son ami Hyde éprouve immédiatement le besoin de se substituer à son alter égo ? Faut-il qu’il y ait danger pour susciter un tel changement dans la personnalité de l’enfant et que tout à coup Jekyll devienne Hyde !
Le rôle du Parent ?
Le Rituel « Jekyll – Hyde » décrit le processus comportemental inconsciemment engagé par l’enfant, vis-à-vis de son parent, dès lors qu’il se sent, fragilisé dans ses besoins vitaux d’existence, de sécurité et d’amour. Il s’agit d’un comportement énergétivore pour les deux protagonistes, mais qui va surtout impacter de manière significative, les sphères relationnelle et cognitive de l’enfant.
Le parent est alors « invité » à reconsidérer son attitude, afin de provoquer la dissolution du Rituel et libérer l’enfant pour le faire grandir à nouveau.
Le concept de Dissonance Educative est à la base de ce repositionnement, il s’appuie sur la théorie de la dissonance cognitive que nous devons au psychologue américain Léon Festinger et selon laquelle un individu, placé dans un environnement dissonant, à savoir, mis en présence d’éléments incompatibles entre eux, entre dans un état de tensions internes insupportables. Il se trouve alors contraint de restaurer l’équilibre cognitif ainsi rompu par la mobilisation spontanée de stratégies comportementales de nature à réduire cette dissonance. L’intérêt de cette phase de rationalisation réside dans le fait qu’elle se solde par la mise en place d’un nouveau comportement ou d’un nouvel apprentissage.
Le principe de Dissonance Educative, part donc du postulat que tout apprentissage nouveau, s’il n’est imposé de l’extérieur, suppose une dissonance préalable. Ainsi, un enfant mis en dissonance par son parent, a toute les chances de basculer spontanément sur un apprentissage nouveau. Il apparaît donc intéressant de se pencher sur le comportement du parent lui-même, dès lors qu’il est sollicité par une attitude qu’il juge inadaptée de la part de son enfant, et qu’il voudrait voir se corriger.
L’intérêt premier d’une telle procédure est qu’elle respecte l’enfant dans son degré de maturité à ce moment-là. Le comportement de l’adulte doit donc être de nature à provoquer la dissonance attendue afin de favoriser chez l’enfant l’émergence d’un nouveau comportement.
En résumé :
– Le Rituel Jekyll-Hyde a des conséquences néfastes sur l’apprentissage.