– Amélie, viens faire tes devoirs !..
– Tu as des devoirs ce soir ma chérie ?
Et de son père lorsque celui-ci rentre à son tour :
– Tu as fait tes devoirs mon cœur ?
Et Amélie de répondre à chaque fois machinalement :
– … Oui maman, oui papa…
C’est devenu comme un code, qui la plupart du temps ne veut rien dire du tout puisqu’Amélie a bien compris que papa et maman avaient juste besoin d’être rassurés. Alors, que ses devoirs soient faits ou non elle répond toujours la même chose, puisque ça marche !…
Amélie a une petite sœur de 7 ans. Comme elle est la plus grande, ses parents lui ont permis de choisir sa chambre dans la nouvelle maison. Sa préférence est allée vers la chambre qui se trouve au fond du couloir. Son cousin Guillaume lui a expliqué que c’était plus pratique, ça lui laisse le temps de réagir lorsqu’elle entend son père ou sa mère venir.
Chaque soir, quand elle rentre de l’école, elle retrouve sa maman qui l’aide à faire ses devoirs. Amélie est au CE2. Elle aime bien aller à l’école, surtout pour voir ses copines. Elle s’est très vite aperçu que c’était une classe assez facile. En effet elle a l’impression qu’elle refait la même chose que l’année dernière en un tout petit peu plus compliqué.
Effectivement, le CE2, qui n’est pas une classe d’acquisition à proprement parler, c’est probablement la classe la plus confortable de toute la scolarité. C’est une classe intéressante, qui ne comporte pas de difficultés majeures du point de vue des apprentissages.
Marie-Jo suit de très prêt la scolarité de ses enfants. Elle a toujours eu très peur qu’Amélie perde pied. Elle est tellement tête en l’air ! Au CP elle était très attentive à l’apprentissage de la lecture. Elle a repris avec sa fille tout le programme pendant les grandes vacances pour être sûre que tout se passe bien dès le début de l’année au CE1. Heureusement qu’elle a eu cette bonne idée, car Amélie à fait une excellente année ! Cette année encore, à la rentrée, elle a bien expliqué à sa fille que le CE2 était une classe très importante et très difficile, donc il fallait surtout bien apprendre ses leçons ! Ce qu’Amélie fait depuis toujours d’ailleurs… Amélie a toujours été ce qu’on appelle une très bonne élève.
Marie-Jo ne comprend pas pourquoi le moment des devoirs est si difficile, si conflictuel. Elle a l’impression que dès qu’elle parle d’école à sa fille, celle-ci se cabre et commence à faire la tête et à être désagréable…
Ce soir-là, comme d’habitude Amélie rentre chez elle.
– Bonjour ma chérie ! Tu as bien travaillé ?…
– Y’a quoi pour goûter ?
– C’était bien à l’école aujourd’hui ?…
– …
– Tu as fait quoi ?…
– Rien. Elle est où Juliette ? (C’est sa petite sœur).
– Tu as eu des notes ?…
– Pourquoi elle est pas là Ju ?
– Elle est en face chez sa copine Coralie. Tu as eu des notes ma chérie ?…
– Non j’te dis, j’ai rien fait !…
– Comment-ça tu n’as rien fa it ?… Tu as bien travaillé quand même ?…
– Oui !… Pourquoi elle chez sa copine, Ju ?
– Tu as fait des mathématiques ?
– Non j’ai dessiné. J’peux y aller moi aussi ?
– Où ça ?
– Chez Coralie, avec Juliette !
– Non, non, ma chérie tu fais tes devoirs d’abord…
– Mais j’en ai pas !
– Je suis sûr que tu as de la lecture ma chérie…
– Non ! pas ce soir…
– Fais moi voir ton cahier de texte…
Ce disant, Marie-Jo fouille dans le cartable de sa fille et en sort une boîte … de maquillage…
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
– … Sais pas …
– Amélie ! Tu te moques de moi ?…
– C’est pas à moi…
– Et c’est à qui alors ? Et qu’est-ce que ça fait dans ton cartable ?…
– C’est à Coralie ! C’est elle qui l’a mis !…
– Arrête de me mentir Amélie ! Et où est ton cahier de devoirs ?
– J’l’ai oublié…
Marie-Jo se met à bouillir… Depuis quelques temps ça ne va plus ! Sa fille lui ment, fait semblant de travailler et elle la soupçonne d’oublier ses affaires pour ne pas avoir à faire ses devoirs à la maison… Pourtant la dernière fois qu’elle a vu la maîtresse celle-ci lui a dit que tout allait très bien, qu’Amélie était une petite fille très disciplinée et appliquée, que ses résultats étaient très bons dans l’ensemble.
Marie-Jo ne peux pas laisser passer. Il faut absolument qu’elle redresse la barre avant qu’il arrive une catastrophe…
– Amélie, si tu continues comme ça tu vas finir par redoubler !…
– Mais j’ai pas de devoirs je te dis !
– Comment je peux le savoir puisque tu as oublié ton carnet ?
– Mais c’est pour ça que je l’ai oublié…
– Comment ça pour ça ?…
– Ben parce que j’ai pas de devoirs !
C’est une véritable foire d’empoigne ! Marie-Jo ne sait plus comment réagir.
– Vas chercher ton livre on va faire la lecture…
– Mais euuuh !… j’ai pas de lecture à faire !…
– Amélie je ne te demande pas ton avis ! Tu vas chercher ton livre et tu reviens tout de suite, un point c’est tout !
– C’est pas juste ! Ju elle est chez Coralie et moi je peux même pas y aller !
– Ta sœur est plus petite que toi, elle a moins de devoirs c’est tout ! Dépêche-toi !…
Amélie, temporairement vaincue, finit par revenir de sa chambre le livre de sa sœur dans les mains…
– Qu’est-ce que tu fais avec ce livre Amélie ? C’est celui de ta sœur…
– Oui, mais je veux lire avec celui-là…
Marie-Jo sent qu’il vaut mieux ne pas insister, elle s’installe à côté de sa fille qui lui demande de lui faire la lecture une première fois. Sa mère faisant contre mauvaise fortune bon cœur, se prête alors à l’exigence de sa petite fille qui tout à coup la coupe :
– Et ben la maîtresse elle dit que c’est pas la peine de s’arrêter quand y’a un point…
– Comment ça ?
– Ben oui ; quand y’a un point, y faut continuer…
– Mais bien sûr que non ma chérie, lorsqu’il y a un point du doit t’arrêter et compter jusqu’à trois dans ta tête avant de reprendre et jusqu’à deux quand c’est une virgule…
– Et quand y’a deux points ?
– Et bien… je ne sais pas, c’est comme un point.
– Tu comptes jusqu’à six alors ?…
Marie-Jo sent l’énervement et l’impatience la gagner peu à peu. Elle reprend sa lecture. Amélie la coupe à nouveau.
– …
– Bon et bien puisque tu sais mieux que tout le monde tu n’as qu’à lire toi ! Allez à toi.
– Non ! continue maman !…
– Non, c’est à toi !
– Je sais pas…
– Quoi, tu ne sais pas ?
– Je sais pas lire !…
Marie-Jo sent qu’elle devient folle ! Mais c’est plus fort qu’elle, elle ne veut pas lâcher le morceau ! Amélie se met à pleurer. La porte d’entrée, vient de claquer, c’est Juliette qui rentre. Aussitôt celle-ci remarque son livre de lecture et fonce illico sur sa sœur :
– C’est à moi ! crie-t-elle en s’emparant de son bien.
– Non ! Arrête !… maman !!!
Amélie attrape sa sœur pas les cheveux. Juliette se met à hurler. Marie-Jo n’en peut plus, elle explose !
– Ca suffit maintenant ! Juliette va dans ta chambre et toi file dans la cuisine !
Ce faisant Marie-Jo se demande pourquoi elle fait cela, mais elle est tellement dépassée qu’elle ne peut plus réfléchir. Juliette se met à hululer dans sa chambre pendant que sa sœur part en courant dans la cuisine, glapissant…
Chaque soir de la semaine, c’est le même scénario, des conflits aussi interminables que stériles.